Notation sociale : les grandes entreprises françaises en tête

Un récent article paru dans Investir (édition du 23 mai 2020) est consacré aux performances sociales des entreprises françaises telles qu'elles ressortent des classements réalisés par l'agence de notation Vigeo Eiris.

On y apprend que la crise du Covid-19 a mis au premier plan la capacité d'accompagnement des salariés par leurs entreprises, en lien direct avec l'impératif de protection sanitaire (distribution de masques et de gel, adaptation des conditions de travail, mise en place du télétravail...). Jusque-là, rien d'étonnant. Mais l'enseignement le plus frappant de cette étude, c'est l'avance considérable qu'ont sur le plan social les grandes entreprises françaises sur les grandes entreprises allemandes, et sur leurs homologues américaines. Sur un indice 100, le CAC 40 est noté 61, quand le DAX, son équivalent allemand, est à 48. Aux États-Unis, le Dow Jones n'est qu'à 34 points.

Les grincheux peuvent toujours mettre la bonne note du CAC 40 sur les multiples contraintes sociales qui pèsent sur les entreprises françaises : de toutes façons, elles n'ont pas le choix. Et il est vrai qu'au fil des décennies, le droit du travail et le paritarisme n'ont fait qu'accroître les responsabilités sociales des entreprises. L'État providence n'a cessé de transférer sur ces dernières la charge toujours plus lourde de ses légitimes préoccupations sociales, au point de faire de l'entreprise providence un supplétif de sa politique sociale - supplétif souvent enrôlé de force. De leur côté, les mouvements anticapitalistes saluent ces contraintes qui forcent à la vertu d'horribles chefs d'entreprise qui, sans cela, accumuleraient leurs profits sur l'exploitation sans vergogne de travailleurs paupérisés et maltraités. La caricature est facile, et chacun reconnaitra dans ce qui précède le discours de son altermondialiste préféré. Enfin, on peut être cynique et voir dans le classement des entreprises françaises l'efficacité du supposé social washing du CAC 40, qui, comme avec le green washing, a réussi à rendre acceptables ses (forcément) déplorables pratiques sociales pour les besoins d'une notation à laquelle il est bien obligé de se soumettre.

Au fond, que nous dit ce panorama des performances sociales des grandes entreprises françaises ? J'en tire pour ma part trois enseignements principaux :

1. Be happy. Il faut se réjouir de l'avance en matière sociale des entreprises du CAC40, dont on a pu critiquer ou caricaturer en d'autres temps les pratiques paternalistes. Toutes ne sont pas au même niveau, et il n'est pas de modèle absolu en la matière. Même si du chemin reste à parcourir, il est rassurant de constater que la comparaison sur des critères aussi variés que les pratiques RH (formation, stress au travail, discriminations, reclassements...), les pratiques vis-à-vis des fournisseurs et de la chaîne de sous-traitance (délais de paiement, travail des enfants, travail forcé, actions bénévoles dans les territoires où l'entreprise est présente...) ou les pratiques fiscales place nos entreprises en tête de classement. C'est une bonne nouvelle pour les salariés, parce qu'il fait meilleur - en moyenne - être salarié en France qu'aux États-Unis ou qu'en Allemagne. C'est une bonne nouvelle pour les PME et TPE, parce que les grands donneurs d'ordre peuvent entraîner les filières amont et aval à adopter des normes sociales plus avancées que le minimum légalement requis. C'est une bonne nouvelle pour l'État, qui se voit soutenu et parfois devancé dans son rôle de garant des droits fondamentaux et du bien-être général.

2. Walk the talk. La pression des investisseurs se fera de plus en plus grande à mesure que les pratiques sociales deviendront un critère de performance globale des entreprises. Les rapports et études qui montrent la corrélation entre pratiques sociales et performance financière de long terme sont légion. Mais deux engrenages tardent à s'enclencher pour accélérer le mouvement. Côté consommation d'abord : jusqu'à quand les consommateurs plébisciteront-ils un Amazon ou un Uber Eats dont les pratiques sociales ressortent davantage des débuts de l'ère industrielle que du XXIèmesiècle ? Ensuite, du côté des investisseurs. Quand la performance sociale quitte le champ de la vertu et de l'éthique pour entrer dans celui de l'investissement, un seuil d'efficacité est franchi. Les actionnaires, fonds d'investissement ou individus, dûment informés du profil social de l'entreprise dans laquelle ils investissent, peuvent arbitrer l'allocation de leurs fonds en toute connaissance de cause. Par effet d'entraînement, les décisions stratégiques de l'entreprise et la gestion quotidienne de ses opérations finiront par tenir compte de cette pression financière.

3. Welfare matters. Les entreprises françaises sont d'autant mieux armées pour la reprise économique que leurs pratiques sociales préservent, respectent et développent leurs forces vives. Si les pratiques sociales sont un facteur de compétitivité, alors nos entreprises disposent d'un atout incomparable pour se relancer dans le monde d'après-crise. Il ne s'agit pas de réinventer le capitalisme ou la mondialisation. Il s'agit plus simplement de considérer le collectif de production comme un capital commun, développé au fil des années par une entreprise ancrée dans un territoire et une Nation. Cette affirmation est loin d'être partagée, mais elle emporte une conséquence évidente : les conditions sociales de production des biens et services sont un déterminant essentiel de la qualité de ces derniers. Il n'y a pas d'entreprise performante avec des salariés qui vivent la relation à leur entreprise dans le conflit, la défiance ou le désengagement. Nos entreprises savent, dans leur immense majorité, prendre soin de leurs salariés. Elles sont, en ce moment même, soumises à d'immenses défis qui engagent leur survie. Faisons-leur donc confiance pour se restructurer proprement, c'est-à-dire dans la concertation et en accompagnant leurs salariés avec équité et humanité. Rien ne sert d'empêcher Renault de fermer ou de restructurer ses usines. La vraie maltraitance sociale serait de l'empêcher de le faire tant qu'il est encore temps, et que les conséquences d'avoir trop tardé ou d'avoir renchéri le coût de la transformation de l'outil de travail soient encore plus dramatiques dans quelques mois.

Dans le champ environnemental, les admonestations d'un Larry Fink, qui dirige Blackrock, le plus grand fonds d'investissement de la planète, pour plus de transparence de la part des entreprises ne font pas encore consensus ("Disclosure should be a means to achieving a more sustainable and inclusive capitalism")[1]. Les entreprises françaises, en s'inspirant de cette logique dans le champ social, ont entre les mains un avantage compétitif encore trop peu exploité.

 

[1]Larry Fink, Letter to CEO'S: https://www.blackrock.com/corporate/investor-relations/larry-fink-ceo-letter

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