No culture !
A l’heure où un ministre se joint à une manifestation organisée par ses troupes contre son propre gouvernement, on ne peut s’étonner d’une perte de sens généralisée. Les courses d’orientation disputées sans boussole finissent mal en général. Chaque jour, la contagion étend son empire.
La généralisation du Pass culture à tous les jeunes atteignant 18 ans a été annoncée en grande pompe la semaine dernière. 200 euros cumulés à partir de la classe de quatrième et 300 euros à 18 ans. Voilà chaque jeune doté de 500 euros pour s’ouvrir au beau et au vrai. Il a fallu quatre ans pour mettre en place cette promesse de la campagne présidentielle de 2017, dont on espérait secrètement qu’elle ne vît jamais le jour. Pour deux raisons simples. D’abord son coût, prohibitif autant qu’approximatif, de plus de 300 millions d’euros. Ensuite son utilité. Parce qu’il est pour le moins étonnant d’attendre de l’État qu’il finance un abonnement à Deezer, une séance de cinéma ou l’achat d’un jeu vidéo. On entend déjà les insultes lancées aux horribles bourgeois élitistes qui oseraient s’élever contre cette avancée sociale majeure. Ceux-là veulent, c’est certain, confisquer la culture, garder pour eux leurs privilèges de classes aisées. Si la culture est ouverte à tous, toufoulkan ma bonne dame.
On ne peut s’empêcher de voir dans cette mesure une tentative pour envoyer un double signal. D’abord à une jeunesse largement maltraitée par un an de pandémie. Ensuite à un monde de la culture aux abois pour les mêmes raisons. Il n’est pas illégitime que l’État subventionne l’accès des jeunes à la culture, mais de façon beaucoup plus ciblée. D’abord en renforçant les ressources consacrées à cet objectif à l’école. Ensuite, sur le plan social, avec un Pass culture sous conditions de ressources ou distribué par les missions locales. Et enfin quant aux objets éligibles, tant il est difficile de comprendre en quoi un abonnement à Canal Plus ou le festival des Vieilles Charrues sont indispensables à la formation du citoyen. La distribution indiscriminée de cette subvention - alors que dans d’autres domaines, notre administration clairvoyante arrive fort bien à distinguer entre ceux qui ont besoin des aides de l’État et les autres, entre produits essentiels et vêtements inessentiels etc... – ressemble à s’y méprendre à une campagne de marketing pré-électoral. Tournée générale pour le monde des médias et de la culture.
Pendant que l’on se réjouit à la perspective de voir des hordes d’adolescents faire la queue devant le musée d’Orsay et se précipiter aux représentations de danse contemporaine du Palais de Chaillot (des scènes de liesse et d’émeute vous dis-je), la vie continue. Et celle de ces mêmes jeunes, de retour du spectacle, s’annonce désespérément vide d’opportunités. Après deux années scolaires et universitaires perturbées par la crise sanitaire, les jeunes n’ont pas besoin de loisirs, si culturels soient-ils. Mais d’éducation, de formation et d’emplois. Parce que ce sont la qualité de leurs études et leur insertion professionnelle qui leur ouvriront le plus sûrement l’accès à la culture. Investir dans le futur, pas dans la culture, voilà l’urgence.