Acte 1er : le réveil d'Hibernatus
La destruction d'un tissu productif et social est chose relativement simple à mettre en œuvre. Nul besoin d'une guerre mondiale ou d'un Pol Pot massacrant et déportant sa population. Un régime démocratique, une épidémie, une décision - grave et circonstanciée, et huit semaines de confinement plus tard, le résultat est (presque) là.
Le taux de chômage aux États-Unis est passé de 3,5% en février à 14,7% en avril, mois au cours duquel 20 millions d'emplois ont été détruits. Outre-Atlantique, jamais le chômage n'a été aussi élevé depuis la crise de 1929. Les chiffres tombent, les uns après les autres, et les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'Europe et la France ne tarderont pas à connaître le même sort. Rien ne sert de s'étonner. On peut filer les métaphores à l'infini : quand on ferme le robinet, la baignoire ne se remplit plus ; quand on arrête de pédaler, on tombe de vélo ; quand on interdit toute activité "non essentielle", rien n'est plus produit plus que de fumeuses rêveries sur le monde d'après. Ou plutôt, on produit exactement l'effet recherché : l'entrée en hibernation d'un pays.
On nous l'a répété sur tous les tons : urgence sanitaire, pas de vaccin ou de traitement, pas assez de masques et de lits de réanimation. Restez chez vous. Seule solution. D'ailleurs, voyez, nous ne sommes pas les seuls. Mais la célérité avec laquelle des centaines de gouvernants dans le reste du monde, avec une belle unanimité, ont décidé de geler leurs pays respectifs ne vaut pas validation. Affolement collectif ou principe de précaution ? On a les guerres qu'on peut. Alors que nous entrons dans la zone grise de la liberté surveillée, taraudés par l'angoisse sourde de la "deuxième vague" épidémique, une question s'impose : était-il possible de faire autrement, c'est-à-dire de maîtriser le risque sans détruire les fondamentaux économiques, sociaux et budgétaires sur lesquels un pays construit son avenir ? Il serait trop facile et indécent de refaire le match une fois la partie jouée. Mais il est légitime de se demander si l'arbitrage politique en faveur de la santé "à tout prix" n'a pas été excessif. Car le résultat est proprement effrayant : une dette publique et un déficit qui explosent, des recettes fiscales amputées, plus de 10 millions de salariés en chômage partiel. Au final, une récession qui s'annonce d'une violence extrême, avec une contraction du PIB de l'ordre de 8 % en 2020 [1], avec les faillites et le chômage correspondants.
La question qui fâche n'a été que rarement abordée dans le débat public : le ratio coût-bénéfice des 60 000 morts évités par mois [2] plaide-t-il rétrospectivement en faveur du choix du confinement ? Il n'est pas ici question d'ériger le raisonnement financier en unique critère de décision politique, mais d'objectiver un choix lourd de conséquences à l'aune de considérations autres que sanitaires. Une première approche consiste à se demander quel est le coût d'une mort évitée. Les prévisions de croissance pour 2020 font état de l'évaporation de 200 milliards d'euros par rapport à 2019. En regard des 120 000 morts évités grâce à deux mois de confinement, on peut donc estimer que chaque décès évité a "coûté" à la collectivité 1,6 million d'euros, ce chiffre étant par ailleurs sous-estimé car ne prenant pas en compte les multiples conséquences budgétaires, sociales et économiques à moyen terme évoquées plus haut. Une autre approche consiste à se demander si pour éviter la mort de 0,018% de la population française - dont les statistiques nous indiquent que les trois-quarts sont âgés de plus de 75 ans - il était indispensable de pénaliser à ce point l'avenir d'un pays, et plus encore d'une génération. Principe d'humanité et protection de la population d'un côté. Proportionnalité et préservation de l'appareil productif de l'autre. Saura-t-on à présent tout faire, "quoi qu'il en coûte", pour redresser l'économie ?
Hibernatus se réveille, et il est perplexe.
[1]Source: Commission européenne, mai 2020. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_20_799
[2]Selon une étude de l'Ecole des hautes études en santé publique, avril 2020. https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/23/coronavirus-plus-de-60-000-morts-evites-en-france-grace-au-confinement_6037474_3244.html